mercredi 20 juin 2012

Rio+20: pourquoi?


Les négociateurs brésiliens éprouvent les pires difficultés à élaborer un texte à présenter aux chefs de gouvernements, qui arriveront après-demain du monde entier, tant les oppositions classiques entre blocs de pays restent de mise. En tant que syndicalistes, nous pouvons apprécier la mention faite actuellement, dans le texte, de thèmes importants comme le travail décent, la sécurité sociale (initiative « Social protection floor » de l’OIT) et la transition juste. Mais nous devons surtout déplorer un élément qui fait cruellement défaut : l’ACTION ! Ce dont nous avons besoin, c’est n’est pas de la mention de ces thématiques dans un texte, mais d’engagements fermes à les mettre en œuvre. C’est aussi le message que la CSI et le WWF ont fait passer, ensemble, à Dilma Roussef, présidente du Brésil.

Pour bien définir en quoi le succès de Rio était si important pour le monde syndical, j’ai posé deux questions simples à quatre collègues : pourquoi sont-ils venus à la conférence et qu’en attendent-ils ?

Yahya Msangi est coordinateur régional pour la CSI-Afrique et responsable des domaines de la sécurité au travail, de la santé et de l’environnement.

Pourquoi? Je suis venu à Rio représenter les travailleurs africains, défendre leurs droits et leurs intérêts, en mettant en avant deux revendications centrales. D’abord, il faut rajouter un pilier à la notion de développement durable, celui de la bonne gouvernance. Sans elle, un développement durable n’est pas possible sur le continent. Ensuite, et en conséquence, nous voulons la fixation d’un cadre relatif à l’ « économie verte ». Un ensemble de règles qui permettent qu’elle se base sur la justice et la sécurité sociale, qu’elle se construise au bénéfice des travailleurs.

Le déroulement de cette conférence m’inquiète énormément, quand je vois par exemple le groupe de travail sur la sécurité alimentaire effacer les notions de droit à l’alimentation ou à l’eau, des droits de l’homme fondamentaux. Les chefs de gouvernement doivent corriger le tir ! Je constate aussi qu’on fait toujours plus appel à des fonds privés, fonds de pension en particulier, pour financer le verdissement de l’économie. D’autres sources de financement devraient être mobilisées, comme les revenus de la taxation des transactions financières, une de nos priorités !

Maria Emeninta est à la tête du département international, au sein de la Confédération des syndicats indonésiens.

Pourquoi? Je suis depuis peu chargée de la politique climatique au sein de mon organisation. Nous avons mis en place ce programme afin de pouvoir faire valoir, dans la politique climatique du pays, nos arguments en faveur d’une transition juste. Pour que la qualité de l’emploi et les conditions de travail fassent partie intégrante de la politique climatique. Dans mon pays, l’agriculture et la gestion forestière sont de première importance, raison pour laquelle il est très présent dans les discussions relatives à la reforestation, par exemple, mais nous ne sommes pas consultés. Une des propositions sur la table est de limiter le recours aux plantations de palmiers à huile pour la production de biocarburants, ce qui aura de l’impact sur l’emploi de beaucoup de gens ; nous sommes d’accord de collaborer à la lutte contre la déforestation, mais il faut de la concertation. C’est pour ces raisons, pour mieux suivre la politique de mon pays et être davantage impliquée que je suis venue à Rio. Et j’espère qu’au moment de repartir, des mesures concrètes auront été décidées, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Un soutien fort à l’initiative « Social Protection Floor », avec une deadline pour 2030, serait une belle avancée.

Abdou Karim Quedraogo représente le secteur du bois et de la construction au Burkina Faso.

Pourquoi? Je suis venu représenter les travailleurs de mon secteur, tenter de m’assurer qu’ils sont pris en compte. Et il s’agit d’abord de la qualité de l’emploi : le développement durable ne peut se résumer à la protection de l’environnement ou à la croissance économique, les aspects sociaux doivent être présents. Beaucoup de travailleurs, dont le labeur contribue à notre bien-être à tous, vivent avec moins d’un dollar par jour. Le développement durable ne peut pas s’opérer dans ces conditions.

Je suis content de constater que les autres organisations sociales et environnementales parlent d’une même voix. Nos préoccupations doivent être entendues, et j’espère pouvoir compter sur le gouvernement brésilien. Le Burkina Faso est un pays du Sahel, nous sommes confrontés à la sécheresse, à la désertification, frappés par le changement climatique. Un développement durable est donc essentiel pour nous, et les travailleurs de mon pays sont conscients de l’importance de cette conférence. En tant que syndicats, nous avons clairement un rôle important à jouer.

Laura Martinez Murillo est directrice de Sustainlabour, une organisation qui travaille avec les syndicats du sud sur la thématique du développement durable.

Pourquoi? Je suis absolument convaincue que les problèmes auxquels l’humanité est actuellement confrontée ne peuvent être appréhendés que d’une manière intégrée. Les inégalités n’ont jamais été aussi criantes, les indicateurs environnementaux aussi alarmants. Le développement durable est la solution. Nous ne pourrons jamais garantir des emplois décents, une justice sociale, et une planète viable sans approche globale. Rio+20 est une chance unique de réorienter notre société, et notre présence ici, en tant que syndicats, est essentielle pour faire entendre la voix des citoyens du monde. Si les gouvernements manquent de courage, nous devons les pousser à agir.

A quatre jours de la fin de la conférence, je ne veux pas faire de pronostic quant à son dénouement. Tout ce que je peux faire, c’est continuer à travailler à faire entendre notre programme, jusqu’à la dernière minute. C’est vrai, ça ne s’annonce peut-être pas bien, mais on ne peut pas baisser les bras. Notre message, c’est « Il est temps d’agir », et on doit être les premiers à l’appliquer, pour que Rio+20 soit source d’espoir. Les crises sociales et environnementales consument l’espoir des gens, Rio doit pouvoir les aider à travailler à un nouveau projet, qui vaille la peine de se battre. Pour un environnement sain, de bonnes conditions de travail, une juste répartition des richesses et plus de démocratie.


lundi 18 juin 2012

Rio+20, autant d'efforts pour si peu de résultats

Après trois jours de négociations, c’est toujours l’incertitude quant aux résultats de la conférence. Et absence de compromis entre pays riches, très peu enclins à prendre des mesures concrètes, et pays pauvres, qui réclament plus d’argent pour chaque engagement en faveur de la protection sociale ou de l’environnement... La conséquence ? Des textes tellement dilués qu’ils sont aujourd’hui presque vidés de leur substance, et rien de concret à l’horizon. Taxation des transactions financières ? Mesures nécessaires à la création d’emplois verts et décents ? Engagements pour la réduction de la pauvreté et la sécurité sociale ? Nous continuons à espérer… parce qu’il le faut !


Participer aux négociations de RIO+20 en tant qu’observateur (au nom des syndicats, dans mon cas) est une expérience étrange. Au sein du groupe de travail sur l’économie verte, un paragraphe de 5 lignes a été discuté pendant plusieurs heures. L’UE insistait pour qu’il soit tenu compte des facteurs sociaux et environnementaux, ce que ni les pays en développement ni les Etats-Unis ne voulaient entendre. Trop difficile, visiblement, de se mettre d’accord sur quelque chose d’aussi évident a priori. Hallucinant…

Cette nuit, à 23h30, les co-présidents de la conférence ont dressé un état des lieux de la situation. Avec l’optimisme propre à leur fonction, ils ont décrit les avancées enregistrées dans les différents groupes de travail. Si leur discours semble se justifier pour certaines thématiques très spécifiques (désertification, par exemple), il tente surtout de cacher des divergences de point de vue colossales entre négociateurs. La référence au socle de sécurité sociale et à la transition juste est faible, le plaidoyer syndical pour les « emplois verts » inaudible, principalement pour les pays en développement, qui s’opposent à toute avancée sur l’économie verte.

Les pays participants ont décidé cette nuit de continuer à travailler sur les textes, et donné mandat à l’hôte brésilien de fournir aux leaders des gouvernements nationaux - qui prendront le relais d’ici trois jours - une base utile pour démarrer leurs travaux.

De mon côté, le sentiment qui domine est la tristesse. Comment est-il possible qu’autant d’efforts soient nécessaires pour si peu de résultats? Les négociations me font souvent penser à une dispute de famille autour d’un héritage contesté. Avec un groupe (les pays en développement) qui s’estime lésé et un autre (les pays riches) qui tente d’éviter la discussion et en appelle au bon sens. Au nom de « l’avenir que nous voulons », thème de la conférence, n’est-il pas possible d’être plus raisonnables ?

dimanche 17 juin 2012

Un emploi vert pour les esclaves libres

L’histoire de Natanael Pereira Laurentino n’en est qu’une parmi d’autres. Les rapports de l’OIT, qui soutient la politique de lutte contre l’esclavage du gouvernement brésilien, décrivent abondamment les conditions de vie des travailleurs forcés. D’après Peter Poschen, directeur du programme « emplois verts » de l’OIT, le phénomène est principalement présent dans les Régions pauvres de l’Amazonie, au nord du pays. Souvent, les travailleurs démunis d’autres régions sont attirés par des intermédiaires insaisissables (appelés « gatos », pour « chats ») qui les endettent en leur avançant frais de transports, logement et alimentation, pour les tenir ensuite à leur merci.


Pour attaquer le problème, le gouvernement brésilien recourt à des brigades armées, constituées d’inspecteurs spécialement formés et de policiers. De 2008 à 2011, 559 opérations ont été menées, débouchant sur la libération de 13.048 personnes. Seule la moitié du chemin est cependant alors parcourue : si les esclaves libérés n’ont pas d’alternatives, ils retomberont dans la misère. C’est pour cette raison que le programme veille aussi à leur offrir des possibilités d’emploi, et précisément d’emplois « verts ».

Peter Poschen pointe trois secteurs, dont le premier est la production de charbon de bois pour l’industrie métallurgique, en remplacement du coke. Le charbon de bois est souvent produit de manière non durable, aussi bien sur le plan environnemental (déforestation) que sur le plan social, via entre autres le recours à la main d’oeuvre forcée. L’OIT collabore donc avec les producteurs d’acier et certains de leurs clients (FIAT Brésil, entre autres), pour les pousser à travailler de manière responsable.

Le deuxième secteur est celui de l’exploitation forestière, au sein duquel les autorités veulent atteindre une gestion durable. Le troisième, enfin, concerne la production de biocarburants, dont Peter Poschen affirme qu’elle est réalisable au Brésil sans effet sur la production alimentaire et la déforestation. Une stratégie qui n’est clairement pas sans risque pour atteindre le but recherché : libérer les travailleurs opprimés du Brésil et leur offrir des emplois décents, tout en contribuant à la préservation de l’environnement et des ressources naturelles de leur magnifique pays.

mardi 12 juin 2012

Les syndicats et le développement durable : du cœur, de la réflexion, de l’action et des moyens


Une bonne semaine avant le début de la conférence internationale « Rio+20 », les syndicats se réunissent à Rio de Janeiro. Durant trois jours de séminaire, nous allons accorder nos positions, avec celles des collègues du monde entier, quant à la meilleure approche face à la triple crise – économique, sociale et environnementale - à laquelle nous sommes confrontés.

L’origine de cette triple crise fait déjà – visiblement – largement consensus parmi les participants : un modèle économique inadapté. Pendant la journée inaugurale de notre séminaire, nous avons pu constater que les stratégies mises en place pour lutter contre ce modèle économique n’étaient pas identiques...

Quatre représentants de la confédération internationale des syndicats ont pris la parole pour expliquer comment, depuis quatre continents, on envisage la transition vers un développement durable.

Le plaidoyer révolutionnaire de Victor Baez Mosqueira, Secrétaire général de la Confédération syndicale des Amériques, venait droit du coeur : « Aux riches de payer pour la sortie de crise ». L’Amérique latine ne peut plus compter sur l’aide internationale, elle doit se développer en comptant sur ses propres richesses. Et tout le monde doit participer à l’effort, y compris les plus nantis, aujourd’hui largement oubliés dans l’exercice fiscal. Les impôts à lever doivent être investis dans la production locale, au bénéfice d’une consommation locale, elle aussi. Il est temps de diversifier véritablement l’économie, en sortant du schéma en place depuis longtemps et encore souvent d’application, focalisé sur l’exportation de matières premières. Une telle relocalisation de l’économie serait également bénéfique pour l’environnement.

Kwasi Adu Amankwa, secrétaire général de la CSI Afrique, peut-être un peu moins enflammé, a par contre été très clair : pauvreté, sècheresse, désertification, crise économique et surtout multiplication des conflits militaires font du quotidien de millions d’Africains une question de survie avant tout. Pour lui, les questions de gouvernance sont centrales. Il plaide pour faire de la bonne gouvernance le quatrième pilier du développement durable : sans elle, la justice sociale est impossible, tout comme la protection de l’environnement et le développement économique.

Après l’Afrique et l’Amérique latine vint le tour de l’Asie, représentée par Ching Chabo, de la CSI Asie-Pacifique. Le modèle économique en vigueur a beau avoir mené à une croissance régionale avoisinant les 7% ces dernières années, Ching Chabo a démontré qu’il n’était pas durable. Les inégalités se creusent fortement, les dégâts occasionnés sur l’environnement sont importants et l’économie asiatique est bien trop dépendante de ses exportations. La crise actuelle montre d’ailleurs le besoin de développer les marchés intérieurs. Ceci grâce à une revalorisation salariale, un verdissement de l’économie et la création d’emplois dignes. D’après Ching Chabo, la question est bien présente à l’agenda des pays ASEAN , c’est une note d’espoir !

Bernadette Ségol, secrétaire générale de la Confédération Européenne des Syndicats, fut la dernière à s’exprimer, expliquant combien la réponse choisie par l’Europe à la crise financière fragilise notre modèle social, puis mettant en lumière les attaques récentes –mais encore trop marginales - qui ont heureusement été relayées récemment au niveau politique. L’ « économie circulaire » basée sur la réutilisation et le recyclage des matières premières, la taxation sur les transactions financières, qui pourrait être utilisée entre autres pour le financement des énergies renouvelables, sont des pistes concrètes, qui doivent être mises en œuvre, avec bien d’autres. Rio doit permettre de quitter la sphère du discours pour passer à l’action !











Du 11 au 20 juin, Bert suit pour la CSC la Conférence des Nations-Unies de Rio, en tant que membre de la délégation belge officielle et de la CSI.Plus d’infos sur le site de la CSI : http://www.ituc-csi.org/rio-20.html
La CSC fait partie de la « coalition belge Rio+20 », qui réunit syndicats, mouvement Nord-Sud, associations environnementales, Conseils de la jeunesse, Conseils des femmes et Organisations actives dans l’économie sociale. La coalition plaide pour que Rio permette le basculement vers un autre modèle économique et de développement ; le texte commun est disponible à l’adresse http://www.cncd.be/IMG/pdf/2012-05-doc_rio20_fr.pdf

La commission sur l’emploi des jeunes : Time for Action,… inaction et discussions !

De retour au plat pays, voici quelques impressions générales sur mon expérience au sein de la commission sur l’emploi des jeunes lors de la 101e Conférence Internationale du Travail à Genève.


Dès le lundi 4 juin, j’ai eu l’honneur d’intégrer le groupe de rédaction du texte final sur l’emploi des jeunes. Mon récent mandat comme président du comité jeunes de la CSI m’a certainement aidé à convaincre de l’utilité de ma présence au sein de ce petit groupe de rédaction (8 employeurs, 8 syndicalistes et 8 membres gouvernementaux).

Le moins que je puisse dire c’est que ce fut une expérience enrichissante et éreintante. En faisant un rapide calcul, en 3 jours, j’ai travaillé 45 heures, au finish, en terminant mardi à 1h30 du matin, ce qui n’est pas exactement du travail décent ;)

Les discussions ont parfois été très compliquées, avec des blocages de plusieurs heures sur une phrase ; j’avais parfois l’impression de devoir constituer un gouvernement avec Bart de Wever !

Par exemple, l’importance de politiques macro-économiques pour résoudre le problème de l’emploi ne semblait pas être une évidence pour toutes les parties. La précédente résolution de l’OIT sur l’emploi des jeunes, datant de 2005, se focalisait essentiellement sur l’employabilité des jeunes. Il nous semblait important de dépasser cet enjeu, surtout depuis 2008 et l’aggravation de la situation par la crise financière.

Sur cet enjeu, les employeurs voulaient s’en tenir à l’employabilité, à l’entrepreneuriat mais ne voulaient surtout pas remettre en cause le modèle économique actuel. Les gouvernements, de leur côté, étaient très frileux à l’idée que l’OIT donne des recommandations sur des politiques macroéconomiques. Pas si étonnant, à l’heure des mesures d’austérité actuelles prônées par l’UE, que les gouvernements soient réticents à investir 1 euro dans une relance de l’emploi, indispensable pourtant…

Un autre débat clé avait trait à la qualité de l’emploi. Les employeurs contestaient même l’utilisation de la notion. Pour eux, il est clair que n’importe quel emploi, rémunéré ou non, est un bon emploi. Il y a un danger de proposer des emplois au rabais en période de crise, sous prétexte que c’est moins cher. Nous avons dû batailler ferme pour faire comprendre aux autres parties que nous n’allions pas résoudre le problème en rabaissant tous les standards sociaux. Sur ce sujet, les gouvernements avaient un comportement assez attentiste, et une ligne politique pour le moins incohérente. La représentante de l’UE semblait dépassée par le sujet, et donnait raison une fois aux syndicats, une autre fois aux employeurs…

En tout cas, ce fut une expérience particulièrement intéressante : la rédaction d’un texte où chaque mot a une signification, le lobby vers les gouvernements pour soutenir un amendement, la confrontation avec des employeurs capitalistes et agressifs, la difficulté d’arriver à des compromis, furent quelques enseignements qui me resteront longtemps en mémoire.

En guise de conclusion, j’espère sincèrement que cette résolution aura un impact à la mesure du défi actuel. L’enjeu est trop important pour que ce texte ne reste lettre morte. Il est urgent de mettre en pratique le titre du rapport : l’emploi des jeunes, TIME FOR ACTION !